Alex Ulrich Bado en route pour la livraison - fadimawebtv

Alex Ulrich Bado, l’étudiant-livreur qui rêve plus grand que ses obstacles

À 25 ans, Alex Ulrich Bado avance sans relâche, entre études, livraison, mode et musique. Dans un Burkina où beaucoup de jeunes étudiants ploient sous les difficultés, Alex incarne cette génération qui refuse de subir et choisit de se réinventer dans la capitale burkinabè.

Alex Ulrich Bado en route pour la livraison – fadimawebtv

Ce matin-là, Ouagadougou s’éveille sous la pluie. Malgré le ciel bas et les routes glissantes, la circulation reste dense : chacun trace sa voie dans le tumulte du quotidien. Au milieu des klaxons et des motos pressées, Alex Ulrich avance prudemment, sac de livraison accroché au dos. Par chance, son itinéraire du jour est goudronné jusqu’au domicile du client, loin des ruelles impraticables qu’il emprunte d’habitude. Arrivé devant une cour, casque ruisselant, il sourit malgré tout :
« Bonjour, c’est la livraison pour Monsieur J… »

Ce geste, répété des dizaines de fois par jour, est devenu sa routine. Mais derrière ce quotidien de livreur se cache un jeune homme, qui jongle entre ses études en Licence 3 d’anglais à l’Université Joseph Ki-Zerbo et son métier de livreur. Un quotidien exigeant, où la survie côtoie les ambitions.

Des racines villageoises à la capitale

Originaire d’une famille modeste de sept enfants, Alex a grandi à Ténado, un village non loin de Koudougou dans la région de Nando. « J’ai fait du CP1 jusqu’en classe de 1ʳᵉ au village. Pendant les vacances, je venais à Ouaga travailler pour payer mes fournitures avant de repartir à la rentrée », raconte-t-il.

En 2021, il rejoint la capitale pour préparer son baccalauréat. Après son admission, une bourse lui ouvre la porte d’une inscription en droit au Centre de Recherche Panafricain en Management pour le Développement (CERPAMAD) à Ouagadougou, avec 75 % des frais couverts par l’État. Mais les 25 % restants, à la charge de sa famille, deviennent un obstacle. « Au moment de payer, mon père m’a dit que c’était compliqué avec mes petits frères qui venaient d’entrer à l’école. Chaque fois, on me mettait dehors des cours parce que je n’étais pas à jour. Finalement, j’ai laissé tomber », se souvient-il.

Contraint de laisser tomber le droit, Alex se retrouve orienté presque par hasard vers l’anglais. Ce choix n’était pas le sien au départ, mais il décide de ne pas baisser les bras. « Au début, je voulais faire du droit, mais je me suis dit que l’anglais aussi, ça ouvre des portes. Alors je continue. » Cette réorientation marque pour lui une étape : il se promet de poursuivre ses études coûte que coûte, même si cela exige de travailler en parallèle.

La livraison, entre survie et rencontres

Pour financer sa vie estudiantine, Alex multiplie les expériences. Il a d’abord travaillé comme gérant de maquis de nuit, avant de se tourner vers la livraison en 2023. « J’ai d’abord travaillé un an dans une agence de livraison, puis j’ai obtenu une attestation de formation et ouvert ma propre boîte », explique-t-il. Il y travaille aujourd’hui avec un ami, partageant les tâches quotidiennes et les aléas de ce métier exigeant.

« Tu peux arriver devant une maison, appeler le client et il éteint son téléphone. Tu attends une heure, deux heures… c’est agaçant, mais il faut avoir un mental en acier. » Pour lui, la livraison n’est pas qu’un gagne-pain : « Je suis quelqu’un de très sociable. J’aime être entouré et rencontrer des gens. Ce métier me permet ça. »

Cette sociabilité est d’ailleurs l’un des moteurs qui le poussent à aller au-delà du quotidien difficile, en explorant d’autres horizons.

La mode comme tremplin

Passionné de mode, Alex s’est formé au mannequinat pendant deux ans avant d’obtenir son attestation en 2023. Une année après, il remporte le concours Icône Fashion Prize à Bobo-Dioulasso. « L’idée de la compétition était de récompenser les mannequins-entrepreneurs, ceux qui ne se contentent pas seulement des podiums mais qui développent aussi des initiatives en dehors des défilés », explique fièrement le gagnant.

Trophée Icône Fashion Prize 2024 – Alex Ulrich Bado, 1er prix

Mais l’univers de la mode n’est qu’une facette de son identité. Une autre passion l’habite : la musique.

ULO LE PERSE, l’artiste derrière le livreur

Sous son nom de scène ULO LE PERSE, Alex Ulrich explore un univers artistique où il se veut porte-voix de sa génération. En 2023, il sort un maxi single de quatre titres, accompagné d’un clip pour le morceau Zigribiti Moderne, disponible sur YouTube.

Cette production lui ouvre les portes d’une tournée à Abidjan, expérience qu’il décrit comme un moment d’évasion. « Quand je monte sur scène, j’oublie les difficultés du quotidien », confie-t-il, le regard brillant.

Ulo le Perse sur scène / Fadimawebtv

Entre ses livraisons, ses cours d’anglais et ses rêves musicaux, Alex construit peu à peu une identité multiple, où chaque expérience nourrit la suivante.

Un message à la jeunesse

Fort de son parcours, Alex tire une leçon qu’il aime partager :
« Dieu nous a donné une intelligence qu’on peut exploiter dans tout. Au 21ᵉ siècle, si un jeune ne fait qu’une seule chose, c’est qu’il n’a pas encore développé sa mentalité. Les études sont importantes, mais il faut aussi avoir une passion,savoir faire quelque chose de ses dix doigts. »

En lui se dessine l’image d’une jeunesse burkinabè qui refuse de se résigner. Sous le soleil, sous la pluie, dans les amphithéâtres ou sur les routes de Ouagadougou, Alex Ulrich poursuit son chemin avec la conviction qu’un avenir meilleur est possible.

Eugène KAM